Claude Gellée, Dessinateur à Tivoli
© Haarlem, Teylers Museum
et
Rembrandt, Tête du Christ, huile sur bois,
Berlin, Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin, inv 811c © BPK, Berlin,
Dist. RMN / Jörg P. Anders
Deux expositions très différentes l'une de l'autre viennent de s'ouvrir au Louvre... pour ne pas dire différentes à l'extrême !
Pour commencer, une remarque de râleuse : je ne comprends pas le marketing du Louvre : autant les affiches pour l'exposition Rembrandt sont sublimes et visibles partout dans le métro autant celles du Lorrain... ne sont pas à la hauteur de son art et bien cachées !
M. Dagen en parle sans doute mieux que moi, dans son article du Monde du 4 avril (déjà en archives, malheureusement). Il raconte sa déception d'avoir mis ces deux expositions l'une en face de l'autre, la difficulté d'aborder le Lorrain lorsque l'on vient de voir Rembrandt.
Je ne proposerai qu'une chose : commencer par le Lorrain.
Bon, évidement, venant d'une grande fan du Lorrain, cela ne vous surprendra pas.
Mais je pense qu'il a raison lorsqu'il parle des émotions radicalement différentes que l'on peut ressentir face à ces deux expositions.
Le Lorrain, c'est la douceur, la contemplation, une manière de s'abîmer dans chaque détail de la nature.
Alors que Rembrandt, c'est explosif. C'est se laisser emporter par ce que l'on ressent devant la luminosité si particulière et proche de la religion de ses Christs.
Donc, un conseil : profitez d'abord du Lorrain.
M. Dagen dit qu'avec l'exposition Nature et Idéal qui se tient au Grand Palais en ce moment et qui expose déjà des tableaux de cet artiste et celle-ci, on risque de se lasser.
Je ne suis pas d'accord, mais alors pas du tout !
En fait, je pense même tout le contraire : ces deux expositions sont remarquablement complémentaires. Et je suis ravie que le Louvre et le Grand Palais exposent sur les même dates sur ces deux sujets si proches !
Au Grand Palais, c'est la grande peinture d'une époque, celle des commanditaires et des palais romains, et l'on ne voit que cet aspect de la peinture du Lorrain, qui n'est d'ailleurs pas le seul représenté à cette exposition.
Alors qu'au Louvre...
Là, ce sont les dessins, les techniques adoptées l'une après l'autre par cet artiste brillant, quelques peintures tout de même pour voir comment ces techniques ont influé sur sa peinture. Découvrir que même dans ses croquis il arrive à rendre toute la luminosité d'un paysage et ce quelle que soit l'heure du jour, c'est merveilleux !
Ce qui est remarquable, c'est de suivre toute la carrière de l'artiste, depuis les maladresses du début jusqu'à la toute fin où l'on sent que l'adresse comme la vue ont baissées, en passant bien sûr par l'apogée de sa peinture.
Ces paysages à la luminosité dense et qui transperce encore les yeux même alors qu'il ne s'agit que de peinture... et puis les différents recueils de dessins, dans la campagne romaine, ou le Liber veritatis, recueil de toutes les commandes qu'il a pu avoir pour pallier les contrefaçons...
Il y a vraiment un grand nombre de choses à découvrir !
Et après, alors que l'âme est apaisée par la douceur du Lorrain, on peut s'aventurer dans la spiritualité de Rembrandt.
La première salle sert à se re-familiariser d'abord avec ses peintures, c'est essentiel, c'est comme reprendre contact avec un vieil ami que l'on a toujours admiré, retrouver ces nuances et cette lumière, si différente de celle du Lorrain, c'est bien vrai.
En réalité, dès ce moment-là, on se laisse posséder entièrement par la lumière de Rembrandt. Celle qui semble venir non pas de la peinture, mais de derrière la peinture, comme si elle venait d'ailleurs.
Le point de départ de l'exposition est presque anecdotique : lors de l'inventaire après décès de Rembrandt, le titre de l'un des tableaux parle d'un Christ "d'après nature".
Comment représenter le Christ d'après nature ? Pourquoi Rembrandt utilisait ce terme ?
Ça y est, le thème est lancé : comment représenter le Christ ?
Vous le découvrirez dans l'exposition. Du XVIème au XVIIIème siècle, avec au passage quelques gravures de Dürer.
Et puis on revient doucement à Rembrandt, avec quelques esquisses, des portraits... notamment des portraits de "jeune juif", qui ressemblent à s'y méprendre... au Christ.
Après tout, pourquoi pas ? Quel meilleur moyen de représenter Jésus "d'après nature" que de s'inspirer d'un jeune juif, puisque lui-même l'était ?
C'est brillant, mais le plus important, c'est cette lumière qui nous indique, au fur et à mesure que l'on avance dans les portraits, qu'il ne s'agit plus d'un simple jeune homme mais bien du fils de Dieu.
En quelques coups de pinceau, un peu plus épais et plus blanc sur les joues et le bas du front, de gros coups autour de la tête qui laissent transparaître la sous-couche orangée, comme si l'auréole était sous-entendue...
Voilà, alors si en sortant de tout cela vous n'êtes pas épuisé... je vous dis bravo ! :)