lundi 28 mars 2011

Nature et idéal...

Le Débarquement de Cléopâtre à Tarse,
Le Lorrain Claude (dit), Gellée Claude (1600-1682), 
(C) RMN / Stéphane Maréchalle



Entre Nature et idéal, le paysage à Rome entre 1600 et 1650.
Oui, on peut dire que le thème n'est pas l'un des plus aguicheurs qui se soit fait au Grand Palais. La scénographie non plus, sans doute.

Mais elle est belle, vraiment.
Je vous dit ça avec beaucoup de sincérité, c'est une exposition qui ne fait pas seulement du bien aux yeux, elle élève l'âme.

Partir à la découverte des tâtonnements de la peinture italienne du début du XVIIème siècle, la mise en place du paysage classique, c'est comme arpenter un chemin en pleine montagne : c'est un peu laborieux parfois, mais la vue, à la fin, elle vaut vraiment le coup.

Alors si vous avez l'occasion, profitez d'un moment de calme entre midi et deux par exemple, quand il n'y a presque personne, pour parcourir les deux étages de cette exposition.

Et laissez Annibal Carrache vous convaincre qu'il n'y a rien de plus beau que la nature, Paul Bril vous emporter au fil des mâtages de ses marines et dans le vert limpide de ses mers, L'Albane et le Dominiquin se partager l'héritage du Carrache en deux part presque égales et si différentes!
Avec la petite exception d'un Velasquez, qui illustre avec délices la dolce vita italienne aux abords des cyprès de la villa Médicis.

Surtout, surtout, approchez-vous des œuvres. 
Juste pour le plaisir de découvrir, à côté des peintures sur toile ou sur bois, une technique extraordinaire : la peinture sur cuivre.
Ce n'est alors presque plus de la peinture, c'est de l'émail, d'une délicatesse, d'une finesse, avec des couleurs sensibles et vraies qu'aucune toile ne permet...
C'est là seulement que vous pourrez découvrir la profondeur des verts, la limpidité des eaux, la transparence des ciels...

A l'étage, pour passer vite sur le charme des dessins et croquis et de la reconstitution d'une architecture en trompe l'œil d'un palais romain, vous découvrirez les deux références du paysage classique : Poussin et le Lorrain.

Poussin, c'est la construction de la beauté idéale, petit à petit, coup de pinceau après coup de pinceau. C'en est presque laborieux, mais c'est sublime. Les personnages figés, les arbres sans un souffle de vie, qui révèlent le sens profond du tableau. Parce que chez Poussin, attention, tout a un sens.
Alors n'hésitez pas, vous pouvez y passer du temps. Relevez chaque détail, comment le cortège est fait à Zeus dans le tableau des funérailles de Phocion, comment le cercueil qui lui est refusé est placé exactement à son aplomb, comment le chemin vous mène, tranquillement, au travers du tableau.

Alors oui, Poussin n'est pas accessible à tous.
Mais, comme pour compenser, en face, il y a le Lorrain.

Et là, quelque soit la connaissance de l'histoire, de l'histoire de l'art ou des auteurs grecs auxquels il fait référence que vous ayez, il n'est pas possible de ne pas juste se laisser happer.
Sa douceur, sa lumière, sa sensibilité, et le tout au milieu de paysages grandioses, c'est... non, définitivement, je n'ai pas de mots pour ça, c'est trop beau.
C'est beau comme un délicieux gâteau dont on sent l'odeur avant de le goûter (et le Lorrain était apprenti pâtissier avant de devenir peintre) : on sent sa lumière plus qu'on ne la goûte.

En bref, c'est une exposition dont on se délecte...


D'ailleurs, si le Lorrain vous a fasciné, le Louvre propose de continuer la visite avec ses dessins : une exposition qui ouvre bientôt !

mardi 22 mars 2011

Le prince du rêve : Odilon Redon.

Odilon Redon, Jeanne d'Arc
musée d'Orsay, Paris © Rmn


Oui, Odilon Redon est le Prince du rêve, des rêves.

Pour un premier billet sur ce blog, je ne pouvais pas rêver mieux que cette exposition.

Ceux qui me connaissent personnellement vous le diront : quand je visite un musée, je passe une grande partie de mon temps à râler.
Parce que telle œuvre n'est pas dans l'exposition, parce que la circulation ne se fait pas bien, parce que les cartels sont mal fait, parce que, parce que... ce qui revient le plus souvent, ce sont les couleurs. Des rouges qui écrasent les œuvres, des gris qui donnent mal à la tête et ternissent les tableaux...

Et bien ce matin, pour la présentation de l'Exposition Odilon Redon qui ouvre au Grand Palais, je n'ai (presque) pas râlé.

Pour la première fois depuis... longtemps! 
Mais la scénographie est grandiose et sublime avec délicatesse les lithographies comme les tableaux.
Beaucoup de justesse, une vraie mise en valeur qui sait à la fois supporter et faire ressortir les œuvres, se faire oublier ou bien servir d'œuvre d'art en soi quand le moment s'y prête.

Alors avant de commencer à parler du peintre, je souhaite adresser tous mes remerciements à Hubert Le Gall, le scénographe de cette exposition.
Et je ne peux qu'encourager les commissaires d'exposition à continuer et multiplier les collaborations avec lui!

Mais venons-en aux œuvres.

J'avoue que je connaissais mal Redon, et que j'avais un a priori plutôt négatif à son égard.
J'y voyais un artiste érudit, et versé dans le surréalisme, voir le mysticisme...

(Oui, j'ai déjà dit que je le connaissais mal!)

J'ai découvert un artiste du noir et blanc, qui s'inspire de Delacroix et travaille une grande variété de matières avec une sorte de désespoir ou de liberté, mai toujours d'une manière extrêmement sensuelle.

Toute la première partie de l'exposition est axée sur sa période dite "noire", car on y trouve essentiellement des noirs et blancs, que ce soit des fusains ou des lithographies.
Son univers onirique est d'une beauté déconcertante.
Et c'est un défilé de personnages composites, entre l'inquiétant et la tendresse, que Redon avait choisi de regrouper dans des albums lithographiques très noirs, qu'il place sous la tutelle de grands auteurs... cela ira d'Edgar Allan Poe à Flaubert, en passant pas Huysmans et Mallarmé!
Si vous aimez la littérature, cette exposition est pour vous!
Mais sa grande force c'est que même si vous n'y connaissez rien et/ou que ça vous rebute, vous y trouverez votre compte, dans la simple délectation de ces images, dans la puissance du noir et blanc.

Petit à petit, le passage à la couleur se fait (dans l'exposition, hein, parce que dans sa vie il peignait dès le début de sa carrière).
Avec timidité d'abord, puis avec une audace inconcevable. Comment pouvait-on oser faire se côtoyer un rose éclatant et du bleu turquoise?
On passe de l'absurde au sublime en une fraction de seconde.
Et on découvre le côté inattendu, spirituel et proche des milieux occultistes, d'un artiste qui représente une sorte de fusion du Christ et de Bouddha, des mélanges de religions...

Et puis, après un demi-tour (un peu laborieux), on arrive aux fleurs. Redon semble avoir été connu pour elles, et une déclinaison de bouquets s'offre à vous du plus simple au plus élaboré au bas des escaliers.
Ici, on est définitivement passé à la peinture.

Mais c'est après que vient le "clou" de cette magnifique exposition : le scénographe a recréé les proportions et l'ambiance de la pièce dans laquelle devait s'insérer le premier grand décor de Redon.
C'est la première fois que tous les panneaux sont réunis, et qu'autant de monde vont pouvoir les admirer : même à l'époque, ce décor est resté très confidentiel.
Je n'ai pas envie d'en dire trop, je vous laisse faire ce plaisir à vos yeux.

Enfin, après un passage dans les arts décoratifs car il a participé à quelques projets de la manufacture des Gobelins, on peut conclure sur une peinture plus large et libérée, pleine de couleurs et de mythologie. 
Sur la première période vraiment heureuse de sa vie en fait.

De quoi ressortir heureux.